Concert chez l’habitant

dimanche 13 mars

la rue principale d’une petite ville,  numero 36, un salon tout blanc, un dimanche après midi

une vingtaine de chaises posées autour du tapis, près du poêle à granulés

dans un coin de la pièce, une table avec des bouteilles de vin, jus d’orange, tartes salées


on attend

et puis un homme, l’air de rien, se met de debout face à tous, il enfile la lanière de sa guitare sur l’épaule et annonce la première chanson

dès le départ tous les codes sont battus : pas de micro, pas de lumière ni de costume scintillant

et pourtant tout le monde est d’accord pour dire que le concert commence, on se souvient et on écoute, les yeux grands ouverts

«  je m’appelle Fabien Boeuf, comme l’animal et c’est le titre de la première chanson »

on a le droit de dire ça

on a le droit de transformer sa vie en chansons

et il se démène l’animal, pour envoyer du son, de la voix et qu’on puisse entrer dans sa musique

c’est comme s’il avait grandi sur ce tapis, avec sa guitare et sans micro, il est plus grand

ici en ce moment on écoute la chanson de variété avec respect et petit à petit nous fabriquons ensemble la salle de concert

Je pense aux concerts privés de la grande bourgeoisie, dans ses vastes salons autour du piano laqué, à queue, noir et accordé

ici sans lumière, on voit tout : les dérapages, les aspérités, le grain de peau

et la terrible intimité de la voix

le public aussi est engagé, on le voit et on l’entend de façon nette et précise, il ne peut pas faire semblant

Les premières chansons ont marqué les contours de l’espace temps, éloigné le contexte particulier à chacun pour entrer dans le présent

A la quatrième, ça y est, le bateau est lancé, il a pris une allure et on peut commencer à s’amuser

Le jeu, comme on dit d’une pièce de bois qu’elle a du jeu, du mouvement, qu’elle peut encaisser une modification de la matière

Le chanteur qui joue et qui veut jouer avec le public, est obligé de montrer ses failles

voilà un mélange détonnant d’humilité et de fierté

François Truffaut disait qu’il était important de faire des films trop jeune ou trop vieux pour entrer dans la carrière

Ecrire des chansons juste pour elles, sans vouloir devenir chanteur mais l’être

DD